Né en 1954, Philippe Bazin a étudié la photographie à l’ENSP Arles entre 1986 et 1989.
Après un long travail dans un ehpad en 1980-81 puis à Berlin en 1982, j’ai développé depuis le début des années 1980 jusqu’en 2003 un projet photographique de longue haleine portant sur les relations que nous entretenons avec les différents phénomènes institutionnels qui encadrent et organisent souvent notre existence. Tout ou partie de la vie pouvant être prise en charge par différentes institutions (maternité, crèche, école, armée, usine, hôpital, maison de retraite, ehpad, etc.), ce projet se fondait sur le constat de la nouveauté de cette situation dans l’histoire de l’humanité : un phénomène principalement apparu après la seconde guerre mondiale dans les pays riches. Vingt-deux ensembles sériels ont été ainsi constitués, interrogeant à chaque fois un système institutionnel.
Ce projet a donné lieu à plusieurs expositions majeures, comme à la première biennale de Lyon L’Amour de l’art (1991) ; au centre d’art de Calais (Adolescents, 1995) ; au Passage de Retz à Paris (1999) et au Musée Niépce (2000) à Chalon-sur-Saône (pour le Prix Niépce 1999) ; au Palais des Beaux-arts de Bruxelles pour l’exposition de « Bruxelles capitale culturelle européenne » (Voici, 2000) ; en ex-Yougoslavie en 2002 avec Femmes militantes des Balkans (Pristina, Belgrade, Sarajevo, Podgorica, Skopje) ; à Braga puis à Culturgest Porto au Portugal (2002) ; à la Galerie Anne Barrault Paris au cours des années 2000 (2000, 2003, 2005, 2007) ; au Musée d’Ixelles à Bruxelles (2007) ; à l’université de Sherbrooke au Canada (2008) ; au Musée de l’Abbaye Sainte-Croix aux Sables d’Olonne et au Musée des Beaux-arts de Calais avec La Radicalisation du monde (2009-2010) ; à plusieurs reprises avec la collection Antoine de Galbert au cours des années 2010 (Maison rouge Paris, fondation Deste Grèce, Stockholm Konstall, fondation Ellipse Caiscais, Fondation Sandretto Turin, Musée Stucki Lodz) ; aux Rencontres d’Arles en 1989 et 2012 ; au Seoul Museum of Art (SeMA) et Ilwoo Space à Séoul en 2016 ; pour ne citer que les principaux lieux concernés.
Ce projet rassemblant environ six cents photographies a finalement été publié dans un seul ouvrage sous le titre La Radicalisation du monde (2009), faisant suite à plusieurs autres monographies préalables comme faces (1990), Adolescents (1995), Les Bourgeois de Calais (1995) Nés (1999). Différents curateurs et théoriciens de l’art ont pour ces occasions écrit des textes conséquents sur ce travail, comme Bernard Lamarche-Vadel, Christiane Vollaire, Thierry de Duve, Georges Didi-Huberman.
Parallèlement, depuis le milieu des années 1990, la nécessité d’une refondation du projet artistique s’est faite jour autour des relations entre esthétique et politique. Alors que la question institutionnelle était encore au centre du travail, la découverte du Nord de la France et son cortège d’usines fermées, de chômeurs de longue durée et de problèmes récurrents autour des mouvements des personnes (notamment à Calais), ainsi que la guerre d’ex-Yougoslavie, m’ont conduit à repenser progressivement le projet artistique en prenant en compte les effets de la globalisation (migrations, gentrifications des grandes villes mondiales, situation dégradée des subalternes, nouveaux modes de protestation).
De 1993 à 2000, j’ai pu photographier parallèlement les chantiers de rénovation des lieux de culture dans le nord et l’œuvre de l’artiste Laurent Pariente, deux ensembles réunis sous le titre Anatomies, et publiés dans l’ouvrage collectif Photographier le chantier, aux éditions Hermann en 2019.
À partir du début des années 2000, il devenait nécessaire de se projeter ailleurs dans le monde alors que jusqu’à présent tout le travail s’était fait en France. Autre nécessité se faisant jour, celle d’entrer dans les logiques d’un travail collaboratif avec les personnes sur les différents terrains, ainsi que de fonder une association de travail avec la philosophe Christiane Vollaire. C’est principalement sous cette dualité que le travail se développe depuis son acte fondateur avec les femmes militantes des Balkans photographiées et interviewées fin 1999 à l’abbaye de Royaumont. Ensuite, les séjours longs au Portugal (résidence Villa Médicis Hors les Murs/Afaa, 2001), en Ecosse (résidence à la fondation Glenfiddich, 2002), en Albanie en 2007 (De la guerre : voyage en Albanie), constituent les terrains d’expérimentations initiaux. Le premier travail conséquent en termes de résultat commun avec Christiane Vollaire se réalise en Pologne en 2008 lorsque nous y visitons une vingtaine de centre d’accueil pour demandeurs d’asile entrant dans l’espace Schengen. L’ensemble du projet sera publié en 2012, Le Milieu de nulle part, aux éditions Créaphis et donnera lieu à de multiples rencontres, conférences et projections, notamment dans le milieu des sciences humaines. Cela nous amène à travailler au long cours avec le projet de recherche Les Non-lieux de l’exil, durant toutes les années 2010.
De 2009 à 2011, grâce à la collaboration de l’écrivain Denis Lemasson, j’ai photographié les lieux fréquentés dans Paris par un jeune Afghan qui venait de se faire assassiner dans le parc Villemin. Ainsi, des parcours, des lieux, des nécessités de vie, dressent une géographie souterraine de la ville ignorée de ses habitants. Dans Paris n’a jamais été exposé ni publié.
En 2010, grâce à une allocation de recherche du Centre National des Arts Plastiques, le projet John Brown’s Body peut être mené à bien. Il est exposé et publié en 2016 par Le Bleu du ciel à Lyon, avec un texte de Victor Hugo, et des entretiens avec Russell Banks, Sarah Shulman et Nell Painter accompagnant un ensemble de photographies prises lors d’une réunion annuelle d’activistes et sympathisants de l’action de l’association John Brown Lives au mémorial de l’abolitionniste John Brown dans les Adirondaks.
En 2011, c’est au Caire et à Alexandrie que le travail a trouvé un court et nouveau développement, au moment des élections libres suivant la révolution égyptienne. Les photographies ont été présentées à la Maison du Geste et de l’Image à Paris au cours du séminaire de Michel Poivert et Julie Jones.
En 2012, à l’invitation d’un couple de chercheurs en anthropologie enseignant à l’université de Santiago du Chili, nous nous sommes rendus dans ce pays afin de travailler avec les indiens Mapuche et avec le Movimiento de Pobladores en Lucha (MPL) actif contre la gentrification de la ville et l’exclusion sociale. Les photographies ont été largement publiées dans l’ouvrage collectif L'Urbain par l'image aux éditions Créaphis (2020).
En 2014, nous avons parcouru la Bulgarie, accompagnés de deux étudiantes bulgares de l’école des Beaux-arts de Valenciennes, pour réaliser un projet autour des immolations émaillant le vaste mouvement de protestations de 2013 dans ce pays. Explorant d’autres stratégies de présentation, nous avons mis au point une « projection parlée », texte et photographies, qui a été présentée en direct dans diverses institutions comme Sciences Po Lyon, l’école des Beaux-arts de Marseille, le cinéma d’art et d’essai Eldorado à Dijon, etc. Cette projection fait maintenant partie des collections de l’État.
En 2015, résidant l’été en Bourgogne, le travail de collaboration s’est concrétisé avec Muriel Martin, fille de fermiers et aide soignante à domicile, autour de la vie à la ferme prise entre tradition et mondialisation de la production intensive de bovins. Accompagné de textes de Muriel Martin et Marie-Hélène Lafon, les photographies ont été publiées en 2017 dans Les Coupes aux éditions Créaphis. Ce travail s’est fait dans le cadre du programme de recherche Travail, migrations et ruralité que j’ai initié à l’École Nationale Supérieure d’Art de Dijon (2016-2019).
2016 est l’année de la crise majeure au camp nouvellement formé de Calais, là où nous intervenons en résidence en février lors de la visite des autorités administratives et judiciaires préalable à la destruction du camp. Il en résulte un ensemble de douze photographies montrant le nouveau paysage créé par cette destruction, une affiche résumant les attentes des migrants et une photographie unique du camp de conteneurs monté par le gouvernement. Avec le texte de Christiane Vollaire issu de son travail de terrain, l’ensemble est publié sous le titre Vider Calais en 2019 par le Château Coquelle à Dunkerque lors de l’exposition Underground Water Road.
De 2017 à 2020, nous entreprenons et menons à bien un travail commun de longue haleine en Grèce afin de mettre en relief les manières dont la population grecque a su inventer des alternatives face à la crise économique, à la crise migratoire et à la mémoire de son histoire mouvementée depuis le années 1930. Ce projet a été exposé trois fois, à Dunkerque au Château Coquelle (2019), à Gentilly à la Maison Robert Doisneau (2019) et au Centre Photographique de Genève (2020), cette dernière date à l’occasion de la sortie de l’ouvrage Un archipel des solidarités. Grèce 2017-2020 aux éditions Loco. Rassemblant plus d’une centaine de photographie et construit à partir d’environ cent trente entretiens sur place, c’est l’ouvrage à ce jour le plus conséquent sur la pratique d’une démarche commune de collaboration croisant photographie documentaire critique et philosophie de terrain. Cette démarche reste expérimentale et fondée sur une heuristique du terrain. Elle met en œuvre les diverses modalités de montage, entre photographies, dans le texte, et entre photographies et textes.
Les photographies réalisées depuis quarante ans peuvent être vues dans diverses collections publiques et privées, à commencer par celle du Musée d’Art Contemporain de Lyon qui a acquis l’ensemble du cycle des Faces (vieillards, nourrissons, aliénés). Les œuvres sont aussi présentes au Musée d’Art Moderne de Paris, au Fonds National d’Art Contemporain, et dans divers FRAC (Rhône-Alpes, Hauts de France, Normandie, Île de France, Aquitaine) et Musées en France (Calais, Poitiers, Les Sables d’Olonne, Arles, Chalon sur Saône, Dunkerque, Charleroi, etc.), ainsi qu’à la Bibliothèque Nationale de France. De plus, deux importantes collections privées m’ont fait confiance par des acquisitions, la Fondation Antoine de Galbert et Neuflize Vie.
Ayant suivi la prescription que donnait August Sander en 1927 (« Il nous faut apprendre à regarder la vérité en face, mais aussi et surtout à enseigner cette démarche à nos descendants... »), j’ai décidé dès mon entrée à l’école d’Arles de me consacrer à l’enseignement de la photographie, considérant que cela fait partie des devoirs incombant à l’artiste dans la société. J’ai principalement enseigné dans deux écoles des Beaux-arts, à Valenciennes (1992-2014) et Dijon (2014-2020), tout en donnant de nombreux cours à divers publics sous forme d’interventions, de séminaires, de workshops, et ce, des classes de primaire à l’université. De plus, pendant seize ans, j’ai enseigné la photographie comme professionnel associé à l’Université des Sciences et techniques audio-visuelles à Valenciennes. J’ai aussi été expert pour la Fondation de France (Bourse Déclics jeunes) pendant 17 ans.
Estimant que je devais apporter plus aux étudiants, j’ai soutenu en 2013 une Habilitation à Diriger des Recherches à l’université de Paris 8, formalisant par écrit mes conceptions de la photographie documentaire. Cela m’a amené à publier en 2017 un livre théorique, Pour une photographie documentaire critique, aux éditions Créaphis, livre qui a connu un réel succès éditorial. D’une manière générale, j’ai produit des centaines d’interventions de tous ordres aux fins de transmission, en France et à l’étranger.
Enfin, j’ai organisé avec Christiane Vollaire des rencontres informelles en Bourgogne pendant sept ans, notamment autour de la question documentaire sous toutes ses formes et médiums, rencontres toutes publiées et disponibles à la Bibliothèque Nationale. Depuis février 2021, je co-organise à l’EHESS avec Christiane Vollaire et Chowra Makaremi un séminaire pratique de recherche, Image et recherche critique. De la documentation au documentaire.
Allocataire du Centre National des Arts Plastiques, 2009
Docteur Honoris Causae, Université de Sherbrooke, Canada 2008
Expert en photographie pour la Fondation de France de 2002 à 2018
Villa Medicis Hors-les-Murs/AFAA 2001
Prix Niépce 1999
Médaille Carpeaux de la ville de Valenciennes, 1999
Médaille de l'OMS, Genève, 1995
Diplômé de l'École Nationale Supérieure de la Photographie, Arles 1989
Artiste/enseignant en photographie à l'École Nationale Supérieure d'Art de Dijon de 2014 à 2020
Artiste/enseignant en photographie à l'École Supérieure d'Art et de Design de Valenciennes de 1992 à 2014
Professionnel associé à l'ISTV, Valenciennes, 1992-2008
Adjoint de direction, Centre Régional de la Photographie Nord Pas-de-Calais, 1990-1992
Enseignant en photographie, MJM Rennes, 1989-1990
Ecole Nationale de la Photographie, Arles, 1986-1989
Médecin généraliste, 1983-1986
Docteur en médecine, 1983
Éditions : BNF